jeudi 26 octobre 2017

Rythmes scolaires : " Le retour à la semaine de quatre jours risque de se faire aux dépens des femmes "

Les deux économistes Emma Duchini et Clémentine Van Effenterre, qui s’expriment dans une tribune au « Monde », estiment que cette réforme n’a pas pris en compte l’intérêt des parents, et notamment celui des mères.



L’école le mercredi, c’est fini ? Les dernières annonces du gouvernement et le décret du 28 juin 2017 du ministère de l’éducation nationale ont ouvert la possibilité pour les maires de décider s’ils vont conserver ou non la réforme des rythmes scolaires à la rentrée prochaine. Selon les indications du ministère, plus d’un tiers des communes reviendront vraisemblablement à la semaine de quatre jours.

Ce sont surtout les difficultés financières et organisationnelles rencontrées par les collectivités locales au cours de la mise en place de la réforme qui ont été mises au premier plan pour justifier ce tournant. Nous avons eu l’impression pendant des mois que chaque acteur a exprimé son mécontentement et que le débat sur la réforme s’est transformé en guerre des tranchées, faute de consensus sur les objectifs et sur la méthode. Finalement, dans la mise en place de la réforme comme dans son démantèlement, a-t-on réellement pris en compte l’intérêt des familles, des enfants comme de leurs parents ?

On aimerait que le revirement actuel soit fait au nom de ceux que la réforme est censée toucher en priorité, les enfants. Un seul problème : il n’y a pas eu d’évaluation de l’impact de la réforme sur la réussite éducative et le bien-être des élèves. Mis à part quelques témoignages ponctuels de parents faisant état de la fatigue de leurs enfants, personne n’a pu établir rigoureusement comment la réorganisation du temps les a affectés, faute de protocoles établis en amont, de moyens, et de temps.

Les effets d’une telle réforme tant sur les mécanismes d’acquisition des connaissances que sur les compétences sociales et émotionnelles sont susceptibles de se matérialiser sur la durée. Tout ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que, en ce qui concerne la pause du mercredi, la France était l’exception en la matière, cette coupure du milieu de semaine étant l’héritage d’un compromis historique entre l’école républicaine et l’église catholique datant de la fin du XIXe siècle.

Le passage à quatre jours et demi s’est appuyé sur des arguments chronobiologiques, mais l’expérimentation conduite en 2013 sur quatre mille villes volontaires n’a donné lieu à aucune évaluation avant sa généralisation. Pourquoi alors ne pas attendre de mesurer l’impact de la réforme de 2013 sur les enfants avant de revenir en arrière ? A croire que malgré la qualité des données disponibles en France, la culture de l’évaluation n’est pas encore au programme.

Le retour à la semaine de quatre jours risque de se faire aux dépens des femmes. Si on ne sait pas comment la réforme de 2013 a affecté le rythme d’apprentissage des enfants, on semble ignorer le lien direct entre organisation du temps scolaire et travail des femmes. Cela a été l’objet de notre étude [publiée mercredi 5 avril par l’Institut des politiques publiques (IPP), qui, à notre connaissance, est l’une des seules contributions scientifiques sur l’impact de cette réforme.

Sans prétendre parler au nom de toutes les femmes, il est important de rappeler quelques chiffres simples : plus de 40 % des femmes dont le plus jeune enfant était en âge d’aller à l’école primaire ne travaillaient pas le mercredi avant la réforme de 2013. C’est deux fois plus que pour les hommes. Notre étude a montré que si la réforme de 2013 n’a pas eu pour effet à court terme d’accroître le nombre d’heures travaillées par semaine par les femmes, elle a amené un plus grand nombre d’entre elles à travailler le mercredi, entraînant, en moins de deux ans, une réduction de 15 % de leur différentiel de participation ce jour de la semaine par rapport aux hommes.

Et si jusqu’à présent ces effets ne se sont pas traduits en termes de hausse des salaires, il faut rappeler que les inégalités salariales sont plus importantes dans les professions qui exigent d’avoir une présence continue sur le lieu de travail et de travailler des journées longues. Changer l’organisation du temps de travail dans les entreprises est un long chemin, probablement aussi sinueux et complexe que la modification des emplois du temps à l’école.

Il ne s’agit pas de mettre sur le dos de l’école la responsabilité des inégalités entre femmes et hommes sur le marché du travail. Celles-ci sont le reflet d’une multitude de choix, plus ou moins encadrés par les normes sociales, que les individus font de l’école jusqu’à la retraite.

Mais les contraintes institutionnelles pèsent sur l’activité des femmes, c’est une réalité. Le retour à la semaine de quatre jours sera peut-être un soulagement pour de nombreuses communes, mais les effets de ce nouvel emploi du temps restent encore incertains pour les enfants, et pourront être coûteux pour de nombreuses femmes.

Par 

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